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Extrait de la Trilogie de Dubrovnik :

 

LE PRINCE (il s’est avancé au milieu de la salle à petits pas lents. Il ne prête aucune attention aux autres qui l’observent avec diverses expressions de surprise et de curiosité. On voit bien qu’une chose insignifiante et presque ridicule le préoccupe. Ses lèvres remuent et une espèce de sourire tremble sur la lèvre tombante. Arrivé jusqu’à Nikša qui a cessé de lire et qui le contemple avec ironie derrière ses lunettes, le prince le regarde un instant, puis rit plus fortement et secoue la tête en désignant la lettre qu’il tient ouverte entre ses mains) : Voilà la lettre d’Antun Sorgo de Pariggi. Je l’ai trouvée !… Eh !… vale la pena que tu la lises. Proprio maintenant !… Et sais-tu comment elle commence ? (Il rit silencieusement et intérieurement, et une toux l’étouffe un peu) : Hein !... mon Maro n’a pas pu se calmer !… Imagine ! (Il lit la lettre à l’aide d’une grande lentille dorée qui pend à son manteau) : « Eccellentissimo Signor Principe ! Mon cher Maro ! Et comment le diable ne vous a-t-il pas encore emporté ?… (Des murmures ; le prince sourit pour lui-même puis continue la lecture) : …donc : « La République est donc encore vivante ! »… et cetera !  Et cetera ! ... (Dans un rire sénile rongé par la toux) : Quel diable d’homme est-ce là !... (Comme s’il se souvenait de quelque chose) : Ah !… que je n’oublie pas… (se tournant vers les différents groupes) : Karlo et Tomo… oui ! Il me semble que je suis venu moi-même vous prévenir de ce que vous deviez faire…

ORSAT (il voudrait l’arrêter, mais)

LE PRINCE (le regarde avec surprise, froidement, sans égard ; puis, il continue toujours simplement et naturellement) : Lauriston est à Pila et a interpellé Luko à travers les portes de la ville : « Que répond sa Seigneurie ? - Vont-ils nous laisser pénétrer dans la ville ? » Luko lui a répondu qu’il attende, et il a accouru jusqu’à moi…

(De l’agitation dans la rue. On entend…)

DES VOIX : Qu’on les laisse !… Quoi, ils se sont endormis ?!

LE PRINCE (prisant du tabac ; puis, il a minutieusement nettoyé son jabot blanc et son manteau pour qu’il n’en reste pas un grain. Et il poursuit en toussant, mais toujours franchement) : C’est pour cela que j’ai décidé de m’habiller et de venir vous l’annoncer…

LUCO (à Sabo, à part) : Veramente, il pouvait rester chez lui !

SABO (lentement à Antun, railleur) : « Mieux vaut un manteau »…

ANTUN (à Sabo en riant) : « Que Tinto et une frontière ! »

ORSAT (qui s’agite comme pris d’une rage furieuse) : Mais, Prince, tu ne vas pas… maintenant !…

LE PRINCE (comme précédemment, ne le comprenant pas) : Mais, qu’est-ce qui te passe par la tête !… Je vais l’attendre au palais avec vous tous… in granpompa… et Tomo et Karlo iront à Pila lui dire que nous protestons... que nous sommes neutres... et autant… qu’ils passent ?…

KARLO, TOMO : Nous sommes prêts !

LE PRINCE : J’ai dit, quand vous vous mettrez en route, qu’ils lèvent l’étendard devant Saint Blaise et qu’ils placent des gardes et des soldats autour…

NIKŠA (en se moquant à voix basse, à Mato) : Oh ! Que bella festa !… Oh ! Que bella festa !

MATO (même jeu) : Il ne manque plus que les lampions !

LE PRINCE (s’inclinant lentement sur la gauche et sur la droite) : Et maintenant… Eccellentissimi… Venez avec moi !… Il faut que Lauriston réalise à qui il a affaire ! (Avec un sourire anticipé) : Et quand ils passeront, je répliquerai à Antun (il rit pour lui-même) : De quel souffle il s’agit !.. Eh ! Eh !… « Nous sommes vivants et le diable ne nous a pas encore enlevés ! » (Il se retourne pour partir et s’incline de nouveau, mais plus bas encore pour tous les seigneurs) : Mes seigneurs !… (Il s’avance vers la porte. Tous lui font la révérence.)

ORSAT (que jusque-là ses plus proches amis ont retenu, s’élance tout à coup et, fermant la grande porte blanche, se tient devant eux, dur, grand, tel Orlando, se tenant face contre face avec le prince) : Non !…

TOUS (avec les sentiments les plus variés dans ce seul mot) : Orsat !

DŽIVO (d’une forte voix, semblant vouloir se jeter sur Orsat) : Laisse-le !…

ORSAT (immobile, glorieux comme Saint Michel au seuil du paradis, d’une voix retentissante et terrible) : Non !... Ceci est ma demeure !... Cette porte est la mienne ! Ici, c’est moi le maître !

LE PRINCE (tremblant, presque effrayé, mais pas sans une certaine grandeur dans son courroux) : Orsat ! Je suis ton prince !

ORSAT (d’une peine indicible) : Et parce que tu es mon prince, me voici… à genoux devant toi ! (Il s’élance vers lui et se jette à ses genoux.)

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