Extrait de la postface de Branko Gavella :
Subitement, j'ai éprouvé le besoin de ne pas laisser mon rapport envers l'écrivain Vojnović dans l'approximation d'oscillation des réactions négatives ou positives, fondamentalement invérifiables et erratiques, qui concernaient certaines parties de ses œuvres comme ces œuvres en elles-mêmes. J'ai senti aussi particulièrement comment mon rapport envers sa vie, envers certains épisodes de cette vie, envers mes tentatives mais aussi celles du cercle des gens avec lesquels j'ai marché dans les pas de Vojnović, comment donc les impressions que nous avons acquises à son contact et celui de ses actions sont demeurées floues et sans contours assurés, et comment elles sont éloignées d'un certain équilibre, même approximatif. Et il faut dire que le devoir m'est devenu justement séduisant, s'appuyant maintenant sur le passé ressuscité, de construire en moi le portrait de Vojnović, de vérifier les sources retrouvées, les sinuosités et les directions de sa création. Il ne s'agissait pas ici seulement des faits de sa vie, plus ou moins connus, car à cet égard je n'aurais pu que relativement peu contribuer à la sphère des connaissances sur cette vie, mais d'une évaluation caractérologique et d'une compréhension des propres rapports existentiels de Vojnović aux faits de son existence. Je voudrais, à cet effet, dès le commencement souligner un point intéressant qui se rapporte à un fait seulement en apparence secondaire, mais qui peut concourir au déchiffrement de nombreux aspects étranges de sa vie, à savoir que les portraits de Vojnović sont très rares (je n'en connais personnellement qu'un seul en plus d'une photographie) qui seraient au moins à peu près fidèles, et qui oseraient ne pas battre en retraite face à son apparence extérieure incroyablement grotesque (le buste érigé l'an dernier à Dubrovnik n'a aucun rapport avec lui). Petit, difforme, avec des jambes disproportionnellement courtes et la partie inférieure du corps proéminente, la tête démesurément aplatie, et un haut front démesurément resserré et saillant ; la lèvre inférieure renflée et protubérante ; sa voix était semblable à une trompette en sourdine, l'œil petit comme cliché sur la figure, mais extraordinairement vif et expressif, et malgré une marche en canard sur des pieds fortement relevés vers l'extérieur, étrangement alerte, affable et élégant dans ses mouvements, vraiment charmant dans sa présence de telle sorte qu'il a ainsi conquis son entourage et que son aspect d'une étrange façon a gagné un attrait singulier.