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Extrait de la préface de Lada Čale-Feldman

Aujourd'hui même, le grand panneau à l'entrée de la ville ancienne de Dubrovnik vous invite à faire connaissance de Držić comme précurseur local de Shakespeare et Molière, mais il y a peu d'études - surtout si on en compare le nombre avec celui des études expliquant les « motifs shakespeariens » dans Držić - qui ont jusqu'à présent essayé d’établir toutes les correspondances détaillées qui confirmeraient la liaison de son œuvre avec le génie de la dramaturgie française classiciste. Et pourtant les liaisons sont suffisamment fortes pour proclamer la traduction de Skup en français un évènement de premier ordre, qui, espérons-le, ouvrira une nouvelle période dans l’exégèse des relations franco-croates littéraires et théâtrales. Il est remarquable que, tout en s’inspirant de la comédie italienne contemporaine, les auteurs avaient tous deux le même instinct dans leur goût pour le théâtre ancien, puisqu’ils ont suivi non seulement les mêmes sources latines – Plaute plutôt que Térence – mais aussi les mêmes pièces de Plaute, Aulularia et Amphitrion, qui étaient toutes les deux soit rarement traitées par les Italiens, soit traitées d’une manière incomparable. Cette dépendance manifeste et directe de Plaute – de ses « œuvres plus vieilles que vieilles », comme le formule le prologue de Skup de Držić à travers la traduction magnifique de Raljević – n’a pas été appréciée par les exégètes croates, qui se cassaient la tête en essayant de prouver que Držić était un poète entièrement autonome et autochtone, n’ayant presque rien en commun ni avec Plaute ni avec ses admirateurs modernes, dramaturges italiens de la commedia erudita. S’étant lui aussi formé dans des écoles où on enseignait le latin, Držić connut les promoteurs et les règles de la commedia erudita lors de son séjour à Sienne, où il avait l’honneur d’être le recteur des étudiants de l’université, et où il a lui-même pris part à un spectacle dans le rôle de l’amant, ce qui lui a valu une arrestation, grâce à laquelle on sait aujourd’hui quelles étaient ses ambitions déjà à cette époque.
Afin de combattre les insinuations de plagiat, « les défenseurs » de Držić insistent encore à présent sur la vivacité réaliste de la représentation de la vie quotidienne à Dubrovnik qu'il a réussi à inscrire dans la matrice plautinienne et celle de la comédie italienne. Mais, tout comme Molière un siècle et demi plus tard, Držić a avant tout reconnu chez Plaute son exubérance linguistique et son ingéniosité dramaturgique - ses jeux de mots, sa structure comique malléable permettant des richesses combinatoires infinies, ainsi que son potentiel théâtral : l’ouverture au jeu de l’acteur, à la communication avec le public. Skup prouve ce lien productif avec la tradition et la propulsion plautinienne plus qu’aucune autre œuvre qu’il nous a laissée, et il en a écrit dans tous les genres : comédies, pastorales, farces, et même une tragédie, Hécube, qui couronne son répertoire avec une interdiction officielle de sa représentation annoncée, à cause de son aspect trop inquiétant pour « les temps turbulents » que la République de Dubrovnik souffrait en 1558.

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