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LA COMÉDIE AU XVIIème SIÈCLE ET SES POSSIBILITÉS SCÉNIQUES¹

Nikola Batušić²

 

 


L'histoire littéraire a établi jusque-là que le théâtre comique croate possédait au XVIIème siècle douze textes. Dix d'entre eux incontestablement sont des comédies alors que la spécification de genre pour deux œuvres, à savoir Vučistrah et Sužanjstvo srećno (La captivité heureuse), pourrait se trouver quelque peu controversée. Ces textes sont des tragi-comédies et des pièces d'amour mélodramatiques, des « comédies de cape et d'épée » croates avec des passages comiques, pleines d'effets typiques de l'époque baroque, à savoir de reconnaissance et de déguisement, de vie sous un nom d'emprunt. Mais comme c'est là tout le trait général des comédies du XVIIème siècle (souvenons-nous de la finale de l'Avare de Molière), nous ne devons pas nous montrer sévères non plus envers nos auteurs. Toutes les douze œuvres sont de la période de 1651 ou 1656 jusqu'à l'année 1699, quand sont enregistrées leurs dernières représentations à Dubrovnik, bien qu'il y ait peu de données dignes de foi, aussi bien sur les dates que sur les lieux et les compagnies qui les ont présentées au public. Si nous pouvons discuter sur les spécifications de genre au sujet de deux de ces textes, les dix autres sont incontestablement de caractéristiques comiques, avec plus ou moins d'originalité en comparaison avec des comédies improvisées italiennes, les comédies d'art d'acteur ou « dell'arte », comme c'est son nom le plus connu. Toutes ces caractéristiques des comédies croates du XVIIème siècle seront abordées d'un point de vue de  la théorie théâtrale et en relation avec leur expression scénique.
       Le problème de la paternité de ces œuvres demeure et n'est pas résolu à ce jour, malgré tous les efforts de notre histoire littéraire. Petar Kanavelić – originaire de l'île de Korčula³ et qui a eu un rapport étroit avec le théâtre, peut-être aussi comme connaisseur du métier de comédien, auteur de pièces religieuses baroques – est vraisemblablement l'auteur de Vučistrah et  Sužanjstvo srećno. Ðanluka Antica est ici et là mentionné comme auteur de Jerko Škripalo. On y trouve encore Frano Radaljević, Šiško Menčetić, Ivan Bunić, puis toute une série de comédiens amateurs, tous nobliaux qui ont présenté des comédies ou des spectacles d'auteurs non identifiés, et pourquoi alors (souvenons-nous des compagnies de comédiens italiennes) nous ne supposerions pas aussi une écriture collective de ces canevas scéniques ? Les Sorkočević, Gundulić, Pucić, Menčetić, Bunić, Gučetić, tous ces jeunes patriciens ragusains qui sont mentionnés à diverses occasions autour des événements théâtraux comme des acteurs, des organisateurs et des chefs de troupes, ont certainement dû accélérer par leur contribution l'irruption d'un nouveau genre scénique dans le théâtre croate, et pourquoi alors ne pourrions-nous pas au moins les considérer comme co-auteurs, puisque les auteurs n'ont pas été établis sans équivoque ? Laissons donc à l'histoire littéraire la question de la paternité et intéressons-nous à l'importance théâtrale de ces œuvres, car c'est pour le développement du théâtre croate d'une immense importance.
       Les dernières tentatives précédentes de comédies en prose – et toutes les œuvres du XVIIème siècle dont nous allons parler sont pour la plupart des créations de trois actes en prose – dans le cadre du théâtre ragusain se trouvaient essentiellement dans les ultimes comédies de Držić⁴.
       Après lui, nous avons connaissance seulement encore de la performance d'une comédie inconnue de 1582, et l'œuvre comédiographique de Sasin⁵ n'est certainement jamais parvenue jusqu'à la scène. Ainsi le théâtre ragusain jusqu'à Jerko Škripalo, vraisemblablement jusqu'en 1656, presque cent ans avec une exception mineure, n'a pas vu sur ses planches de comédies et entendu de prose !
       Dans une telle situation se retrouvent des comédiens et metteurs en scène  qui, après des dizaines de pastorales, des traductions de tragédies, de mélodrames et peut-être d'opéras, de spectacles baroques et d'apothéoses scéniques pieuses et religieuses, essaient de monter de nouveaux auteurs et un nouveau langage. Pour l'époque, c'était tout à fait inhabituel, proche de la ville qui regarde, bien qu'au point de vue littéraire et théâtral ce n'était ni original ni complètement autochtone.
       C'est une époque où les scènes italiennes sont dominées d'une manière de plus en plus forte et plus énergique par une comédie du savoir faire du comédien, improvisée sur la base d'un scénario, jouée « a sogetto », c'est-à-dire sur la base d'un contenu, donc de la commedia dell'arte. Cette comédie est essentielle pour le développement théâtral de nombreux pays européens, car le « grand » siècle français – qui dure en même temps que ces phénomènes – a eu en dehors de ses frontières indéniablement moins d'écho, tout comme les comédiens anglais expulsés n'ont pas eu au XVIIème siècle, excepté en Allemagne, la moindre influence européenne.
       N'appuyant son expression que sur un socle sobre et parfois dérisoire du contenu sommaire des actions, et laissant aux comédiens une liberté presque totale dans l'improvisation et la construction de jeu scénique, la commedia dell'arte a porté avec raison aussi le titre de « comédie d'art d'acteur », car le comédien était le facteur décisif de son incarnation scénique. Spécialisé dans un emploi, élevé sur l'héritage d'un rôle particulier, le comédien a dans ses limites presque toute sa vie joué un seul rôle, entamant et achevant sa vie d'acteur comme l'une des figures typiques de la commedia dell'arte : Arlechino, Brighella, Pantalone, Dottore, Capitano, Pulcinella et les autres. Sans support textuel, le comédien a créé par des savoirs faire spécifiques pour lui et ses acolytes des effets comiques particuliers (des gags, dirions-nous aujourd'hui), à savoir des mouvements tout faits et appris, des feintes habilement accordées, des exhibitions corporelles acrobatiques et diverses virtuosités circassiennes, tout cela regroupé sous le nom commun de lazzi, des attractions scéniques toutes prêtes donc qu'il ajoutait à ces endroits dans le script où l'action semblait suspendue. Plus il y avait de lazzi dans un certain rôle, plus le succès était grand pour son interprète, de là plus de difficultés aussi pour ses collègues qui dans d'autres troupes interprétaient la même figure ou une semblable dans ses traits typologiques, car les lazzi sont à leur manière une sorte de droit privé et de propriété d'un individu qui ne passent qu'après la mort de leur auteur dans le bien commun et le fonds d'expressions d'un type particulier de jeu. Dans l'arsenal des arts du jeu théâtral se trouvent encore ces soi-disant « entrate » et « uscite » - entrées et sorties de scène, moments où l'acteur avec des ensembles de phrases toutes faites à l'intonation comique et pleines de sous-entendus expose au public son personnage, sa signification et son intention scénique. Bien sûr, le chant, l'adresse corporelle souvent à la limite de l'acrobatie, le costume standard grâce auquel chacun est immédiatement identifiable, le masque que presque tous portent, présentent les caractéristiques de la commedia dell'arte par lesquelles celle-ci est devenue non seulement une époque théâtrale précisément cernée, mais avec ses forces fécondes est entrée aussi dans l'histoire des différents théâtres nationaux en tant que leur élément constitutif.
       Il a fallu énumérer toutes les particularités de ce genre théâtral pour que plus tard, en analysant nos textes comiques du XVIIe siècle, nous puissions tenter de déterminer à quel point il y avait en eux, et par conséquent aussi en beaucoup de nos interprétations de ces œuvres, des influences de l'art du jeu des comédies italiennes. On entend souvent, cependant, que la comédie croate du XVIIème siècle n'est qu'un segment anémique du même genre théâtral et scénique italien, tout comme – également sans esprit critique – cette partie de la dramaturgie croate est déclarée authentiquement originale, comme un travail indépendant de la littérature dramatique. La comédie croate du XVIIème siècle est et l'un et l'autre, et combien elle est originale, à savoir autochtone et croate, et combien structurellement et scéniquement et donc visuellement dépendante de la comédie d'art de jeu italienne, le tableau scénique potentielle de ces œuvres le montrera, quand déjà, en raison du manque de documents essentiels, on ne peut prouver la description exhaustive d'un spectacle particulier.


 


CHRONOLOGIE DES REPRÉSENTATIONS ET LEURS INTERPRÈTES⁶
 


        De ces douze œuvres connues aujourd'hui de cette époque, nous ne savons que pour certaines d'entre elles qu'elles sont parvenues jusqu'à la scène. C'est avant tout la comédie Jerko Škripalo pour laquelle il a été confirmé de façon indirecte – d'après le nom d'un juif de Dubrovnik réputé qui s'y trouve mentionné – qu'elle n'a pas pu être écrite et montée après l'année 1656. C'est également l'unique comédie jouée (et la seule écrite aussi ?) à l'époque où régnait encore sur la scène ragusaine le mélodrame baroque. Il se peut qu'il y ait eu des spectacles de comédies privées qui n'ont offensé personne (et il n'y a donc pas eu de controverse à cause de leur contenu), ou de telles représentations n'ont pas conduit à des litiges entre des acteurs (et il n'a pas été nécessaire que les autorités s'en mêlent), ou bien le public après la représentation ne s'est pas comporté de manière inappropriée dans la rue (et une intervention de la garde n'a pas été requise), ainsi, les autorités ne s'en sont peut-être pas mêlées, et puisque quand à Dubrovnik le tribunal ou une institution de pouvoir semblable ne se sont pas préoccupés du théâtre, personne d'autre, malheureusement, n'a enregistré les dates des représentations. Jerko Škripalo a été créé avant le tremblement de terre, et en fait l'année 1667 sera cette ligne rouge après laquelle dans la chronologie apparaîtront majoritairement des représentations de nature comique. La conscience d'un besoin de la comédie existait ainsi déjà à l'époque des spectacles mélodramatiques baroques, ce qui est un fait exceptionnellement important qui permet l'hypothèse d'un nombre plus élevé même d'événements de ce type au moins de manière privée. À la vérité, nous ne savons ni le lieu ni la troupe  qui a présenté Jerko Škripalo, mais comme il est précisé dans un passage que le vieillard Škripalo est « vice-conte delle tre isole », c'est-à-dire « vice-gouverneur des trois îles » - et comme seul un patricien pouvait occuper cette fonction, ce sont peut-être de jeunes nobliaux qui ont monté cette représentation ?
       On suppose que la comédie suivante Džono Funkjelica est présentée le 18 février (le mardi gras !) de l'an 1676. Comme cette date est cependant citée dans le texte, il pourrait s'agir aussi de la date de naissance de la pièce et donc nous ne pouvons pas être assurés de sa date de représentation. Nous ignorons le nom de la compagnie qui a produit la comédie car nous ne possédons aucune donnée directe sur les comédiens.
       Étant donné que Dubrovnik a été catastrophiquement touché en 1667 par un tremblement de terre qui a freiné toutes les émanations culturelles ultérieures, et aussi la vie théâtrale, la continuité des spectacles dramatiques est interrompue jusqu'en 1681, quand pour la première fois est mentionné dans des documents « arsenatum prope fontanam parvam », à savoir le premier espace théâtral fermé à Dubrovnik. Dans cette salle, en fait l'arsenal qui a été agencé, se trouvera à Dubrovnik, à partir de cet instant et jusqu'à ce qu'en 1817 le bâtiment ne brûle, toute la vie scénique de la République, et l'Orsan, comme il est appelé, gagnera au cours des années tous les accessoires d'un véritable théâtre, aussi bien en ce qui concerne les équipements scéniques que l'aménagement de l'auditorium.
       Déjà en l'année du séisme, mais un peu avant (le sinistre est survenu le 6 avril, juste avant Pâques), des jeunes patriciens avaient demandé l'autorisation pour monter un spectacle, et les autorités avaient explicitement exigé d'un Sorkočević, d'un Getaldić et d'un Gundulić que dans leur comédie ne devaient pas se trouver mentionnés des citoyens ragusains d'alors – ni chrétiens ni ceux de confession juive. Nous ne savons pas de quelle comédie il s'agit et si la représentation a eu lieu, mais le projet d'un spectacle existait apparemment. De la même manière en 1681, il est répondu négativement à la requête de trois Pucić, un Gundulić, puis un Gradić, un Gučetić et un Menčetić qui voulaient monter quelque chose à l'Orsan. Certes, le temps où les spectacles pouvaient être présentés était passé, et ils devront renoncer « palcos positos ad faciendas reppresentationes ». Ils avaient déjà monté à l'Orsan quelque chose comme la scène et l'auditorium, mais le spectacle n'a pas eu lieu. D'après les noms, on pourrait conclure qu'il est question de la même troupe, ou du moins d'une partie de ces mêmes jeunes qui en 1667 avaient obtenu l'autorisation de représenter une comédie, et cela permettrait de supposer leur engagement théâtral continu et les préparations nécessaires dans ce sens. L'hypothèse n'est pas impossible, mais quatorze années constituent par ailleurs un laps de temps assez considérable pendant lequel certains jeunes nobles ont assurément quitté la compagnie et d'autres y sont entrés.
       La même année 1681, lorsque la requête du groupe de jeunes nobles a été rejetée, il est noté qu'avaient demandé en décembre et obtenu une autorisation pour un spectacle à l'Orsan Dživo Bunić et Frano Nikolin Bunić. Naturellement, les spectacles ne pouvaient se tenir qu'au carnaval suivant, de sorte que le premier théâtre ragusain en espace clos a ouvert le 5 février 1682. C'était la compagnie à laquelle appartenaient les Bunić, des patriciens donc, avec encore dix autres jeunes gens. On suppose⁷ qu'a été présentée à cette occasion la tragi-comédie Vučistrah, car d'après certaines informations il est fait mention d'une « grotte » dans l'œuvre représentée, et il n'y a que dans Vučistrah qu'un tel élément scénographique doit apparaître sur la scène. Et une autre compagnie s'est présentée en 1682 à l'Orsan, avec un spectacle inconnu à ce jour. Il s'agissait d'une compagnie de comédiens, est-il écrit, « dei barbieri », mais aujourd'hui nous ne pouvons pas savoir de manière fiable s'il s'agit de barbiers-comédiens ou si c'est là le nom d'une troupe théâtrale.
       L'année suivante, le 27 février 1683, la comédie Sin vjerenik jedne matere (Le fils fiancé d'une mère) a été présentée, un spectacle marqué par l'immense scandale qui a éclaté à sa suite. La représentation de la comédie avait lourdement offensé les juifs de Dubrovnik qui avaient protesté à cause de l'approche caricaturale de certaines questions religieuses qu'elle comportait (la présentation grotesque de la circoncision est l'un des principaux segments comiques de l'action !), et les citoyens Antun Krivonosović et Nikola Rigi ont été appelés à rendre des comptes, sur la base de la loi et des règles de tolérance religieuse alors encore en vigueur. Au XVIIIème siècle, il y a aura pourtant des spectacles dans lesquels les juifs n'auront pas le droit d'accès, et certaines de leurs propres représentations théâtrales ne pourront être organisées que dans le ghetto !
       Et de nouveau au Mardi gras le soir du 25 février 1688 à l'Orsan est représenté (sans doute en présence du traducteur Petar Kanavelić) dans sa version croate le Pastor fido (Le berger fidèle) de Guarini⁸ . Avant l'œuvre de Guarini, la compagnie patricienne des Nedobitni (les Inaccessibles), la même qui présentera  aussi la pastorale, a dû jouer une sorte de prologue comique et improvisé dans lequel les jeunes nobliaux avaient l'intention de ridiculiser l'école jésuitique de Dubrovnik et ses professeurs. Kristo Bundić, Dživo Sorkočević, Dživo Gučetić, Lovro Sorkočević, Jerko Bunić, Dživo Baseljić, Džono Rastić, Pijero Freski et Marin Bruceze avaient imaginé dans une scène humoristique apparemment formulée à la hâte et improvisée, - dans laquelle devait apparaître dans le rôle d'un érudit jésuite un « pédant », une figure de prédilection aussi bien des comédies improvisées italiennes que des œuvres comiques ragusaines du XVIIème siècle, - présenter sur la scène de façon caricaturale certaines actualités de la vie collégiale des jésuites de Dubrovnik. Cela a tellement préoccupé les autorités que le prologue n'a pas eu lieu comme prévu. Grâce à cette ingérence dans les événements théâtraux, le nom de la troupe et la liste des membres sont demeurés inscrits.
       Vers la fin du siècle, la compagnie des Razborni (Les Perspicaces) a de nouveau joué Vučistrah, et cela le 1er mars de l'année 1696. Et enfin, dans la dernière année du siècle, sont représentées pendant le Carnaval quatre comédies : encore une fois Jerko Škripalo (si nous ne prenons pas seulement l'année 1656 comme année d'écriture de cette œuvre), puis Beno Poplesija, Pijero Muzuvijer et à deux reprises Vučistrah, visiblement l'œuvre la plus populaire de la vie théâtrale de cette époque, présentée en tout quatre fois, ce qui est une sorte de record à sa manière dans l'histoire théâtrale classique croate. En 1699, Vučistrah a été représenté par la compagnie des Nedobitni, dont les membres dans le prologue sans équivoque disent « nous voilà de nouveau... où nous en étions jeudi  avec la même composition ». Les Nedobitni, reprennent encore le spectacle, ce qui est une preuve de leur disponibilité et d'une sorte de continuité, mais aussi du goût du public de ce temps. Le 1er mars, ce sont les Razborni qui ont joué Vučistrah. Pour les œuvres représentées en 1699, Rešetar⁹ a affirmé qu'elles ont été jouées en un espace ouvert, « devant le Palais », mais Pantić a conclu avec justification que d'après de nombreux indices, et surtout des indices pratiques, les comédies étaient représentées dans la salle de théâtre de l'Orsan. Il serait vraiment absurde en février de regarder et de jouer une pièce dans un lieu ouvert, alors que la ville possède une salle plutôt bien aménagée avec une scène et un auditorium. En plus de cela, il est souvent mentionné dans Vučistrah la tombée du jour, ce qui est une indication suffisante sur le spectacle dans un espace fermé, car on ne jouait « devant le Palais » que l'après-midi, en journée, tandis que l'Orsan pouvait être illuminé de chandelles.
       On ignore cependant où et quand ont été représentées les autres comédies croates du XVIIème siècle, et cela concerne en plus des œuvres déjà citées les textes de Lukrecija, Mada, Starac Klimoje (Le vieux Klimoje), Ljubovnici (Les amoureux), Sužanstvo srećno et Šimun Dundurilo, certainement apparues entre 1689 et 1697.
       Dans la seconde moitié du XVIIème siècle, après donc les compagnies des Isprazni (Les Inutiles),  Smeteni (Les Embarrassés) et des Orlovi (Les Aigles) de la période de Palmotić¹⁰, de nouvelles troupes apparaissent. Ainsi, nous connaissons aujourd'hui de nombreuses compagnies qui jusqu'aux premières années du XVIIIème siècle ont en particulier connu de grands succès dans la représentations de comédies, mais ont aussi été identifiés des groupes qui ont eu l'intention de représenter et des mélodrames. Voici les noms de ces compagnies qui ont œuvré à Dubrovnik dans la deuxième moitié du XVIIème siècle et au début du XVIIIème siècle : Ždralovi (Les Grues ; 1653), Veseli (Les Joyeux ; vers 1681), « dei barbieri » (Les Barbiers ; 1682), Nedobitni, groupe de nobliaux (1688), Razborni (1696), de nouveau les Nedobitni (1699), Smeteni, Plodni (Les Fructueux), « lazarinska » družina (la compagnie de « Lazare »), rien que des roturiers au tournant du siècle, puis les Hrabreni (les Courageux, qui ont présenté ou auraient dû présenter Zorislav de Gleđević) puis les Sjedinjeni (Les Unis, qui le 9 mars 1707 jouent Oton de Dživo Gundulić), et parmi les membres des compagnies se trouvent Franjo Marija Stijepov Tudišević et Brnja Mihov Đurđević-Bunić. Au même moment est active à Dubrovnik, la compagnie des Nepoznani (Les Inconnus) spécialisée dans la comédie.
       Si nous acceptons l'opinion de certaines sources (mais nous n'y sommes pas tenus !) que les Smeteni et les Ujedinjeni (ou Sjedinjeni) étaient une même troupe, alors il s'avère que dans la seconde moitié du XVIIème siècle une dizaine de compagnies théâtrales opérait dont la continuité d'action était évidente. Cela se rapporte particulièrement à la compagnie des Smeteni qui en 1647 a joué l'Alčina de Palmotić, et réapparaît de nouveau en 1701 avec la traduction de l'Aminte du Tasse¹¹ sous la plume de Dživo Gundulić et avec le titre Radmio. Si nous comparons Alčina et la traduction de Gundulić du Tasse – bien sûr, uniquement du point de vue du genre de la représentation – nous pouvons immédiatement conclure que la compagnie des Smeteni était apparemment spécialisée pour les pastorales, a soigné un tel style de jeu, peut-être s'est engagée aussi dans le cadre de spectacles privés qui ne sont pas enregistrés dans la chronologie des événements théâtraux du XVIIème siècle, car il serait incroyable qu'ils aient confié la pièce à une compagnie qui n'avait pas joué dans la période entre Alčina (1647) et Radmio (1701). Il est évident que les deux représentations n'ont pas été jouées par les mêmes comédiens, mais que l'héritage de l'expression scénique théâtrale a duré sinon en représentations publiques, au moins dans les représentations exclusives  que cette compagnie a présentées.
       Les compagnies au XVIIème siècle étaient strictement séparées selon les origines sociologiques de leurs membres. La plupart étaient roturières tandis que les Nedobitni, les Razborni et peut-être les Hrabreni étaient nobles. Il n'y a pas de rivalité entre les compagnies, mais il existent des vues de principe différentes sur le sens de l'action, ce qui est visible dans certains différends mineurs au tournant du siècle. Les compagnies sont apparemment bien organisées, présentent un ensemble cohérent selon la structure interne et s'efforcent d'élever le niveau de leur notoriété auprès du public. Elles ont donc leurs propres drapeau et devise sous lesquels elles se produisent. Les Nedobitni sont représentés par un palmier, les Razborni par une clé et une épée sous une pierre, les Plodni par un olivier. Sur elles-mêmes, les compagnies ont laissé en documentation quelques poèmes humoristiques desquels nous apprenons les noms de certains membres et leur nombre. Ainsi, nous savons que la compagnie de Lazare comptait 12 membres et les Plodni 14.
       Il est évident que les compagnies de la seconde moitié du XVIIème siècle, particulièrement celles qui présentaient des comédies, ce qui vaut aussi apparemment pour les Nepoznani de 1707, étaient de structures et de principes esthétiques différents que ceux des compagnies théâtrales de l'époque de Palmotić (première moitié du XVIIème siècle), axées exclusivement sur le mélodrame. Ce devait être des troupes d'adroits et agiles jeunes gens en état de réagir rapidement scéniquement, puis d'imiter souvent les concitoyens mentionnés ou marqués de manière identifiables, parfois d'improviser, et de manière tout à fait certaine de mettre en scène et de s'occuper du matériel scénique.
     Dans la seconde moitié du XVIIème siècle, les comédiens de Dubrovnik ont atteint par leur travail un niveau de continuité considérable qui se prolonge durant presque cinquante ans, bien que pendant certaines périodes il n'y ait pas de données sur des spectacles. Il est difficile de croire, malgré ces lacunes dans les sources, que les compagnies n'aient monté que de pauvres représentations à l'Orsan, et n'aient pas participé au carnaval et aux occasions lors de mariages privés. Les nombreuses œuvres, et particulièrement les comédies, mais aussi le nombre non représentés de textes connus, renforcent notre conviction du contraire.


 


 


        Bien¹² que se produira au XVIIème siècle une expansion générale de la vie théâtrale, chez les Croates le phénomène théâtral à cette époque n'est toujours pas une notion ou un concept mais demeure une apparition. Il prend ses formes en se basant sur les  œuvres dramatiques écrites en croate ou en latin, mais ne connaît pas encore de continuité et de professionnalisme. Produit du hasard, sporadique et avec des impulsions nobles et souvent amatrices insuffisantes, notre théâtre de l'époque était parfois sensiblement caractérisé par la puissance éruptive de l'apparition fortuite. Comme un besoin, le théâtre a pris vie avec une véritable force au cours de ces quelques semaines de carnaval, mais néanmoins malgré son élan, excepté en de très rares occasions, ne s'est pas imposé comme un facteur social. Toute ingérence de l'État dans la vie théâtrale du plus fort centre scénique croate - Dubrovnik - se résume à quelques sanctions et interdictions, tandis que les aides explicites ou tout geste bienfaisant de la République sont d'une rareté presque anecdotique. Ce n'est que si la pièce touchait quelque centre névralgique de caractère politique, religieux, racial ou autre que les autorités de Dubrovnik considéraient comme digne d'être défendu, que la superstructure étatique se mettait à réfléchir ou à intervenir activement dans la vie théâtrale, mais presque jamais comme catalyseur de ces activités. Il faudra que passe aussi le XVIIIème siècle, dans lequel l'écriture dramatique, en raison de sa décadence dans les régions méridionales de la Croatie, laisse les scènes de ses théâtres à des comédiens professionnels italiens, il faudra que l'expression du théâtre allemand à Zagreb devienne si puissante et menaçante dans le contexte politique général au point de ressentir au milieu du XIXème siècle le besoin non seulement d'un continuum de la pensée théâtrale croate mais aussi de la professionnalisation de toute l'activité théâtrale, comme préalable fondamental non seulement à la naissance mais également – dans les premières phases – à la difficile survie du professionnalisme théâtral comme une forme d'opposition culturelle nationale à une infiltration étrangère, germanique. Ce n'est qu'alors, dans le cadre de la renaissance nationale du peuple croate, que le théâtre va gagner l'importance qu'il avait déjà dans certains pays d'Europe : un segment actif de la culture et une partie constituante de la vie de toute la nation. Cela ne sera plus l'expression d'un écrivain individuel, d'une troupe d'amateurs ou d'une apparition accidentelle, mais la réunion de toutes les composantes du phénomène théâtral, dans lequel très souvent la signification du national  prévaudra sur la pureté et la qualité de l'artistique. Pour l'ensemble des deux siècles précédents, le théâtre croate ne vivra encore que de temps en temps, de carnaval en carnaval, d'une cérémonie scolaire à l'autre. Mais tel que c'était, il n'était ni aveugle ni sourd à toute innovation scénique européenne – allant de l'opéra et du mélodrame baroque à la comédie de l'art d'acteur (ou « dell'arte »), du ballet au spectacle didactique. Et c'est précisément en cela que se trouve sa grandeur. Dans un pays relativement petit, politiquement divisé, l'art théâtral – bien que périodiquement – peut tout de même être reconnu comme une part non tout à fait négligeable des mouvements théâtraux européens en général.
 


Traduction de Nicolas Raljevic
avec la collaboration de Miloš Lazin


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¹ « Komedija u XVII stoljeću i njene scenske mogućnosti » in Povijest hrvatskog Kazališta (Histoire du théâtre croate), Šklolska knjiga, Zagreb, 1978, pp. 121-3.

² Nikola Batušić (1938-2010), théâtrologue croate, historien, critique, académicien.

³ Petar Kanavelić (1637-1719), poète et dramaturge, l'un des plus grands écrivains croate du XVIIème siècle.

⁴ Marin Držić (1508-1567), considéré comme le plus grand prosateur et dramaturge de l'ancienne Raguse.

⁵ Antun Sasin Bratosaljić (vers 1518- 1595 ?), dramaturge ragusain.

⁶ « Kronologija izvedaba i njihovi predstavljači », op.cit, pp. 123-7.

⁷ Voir les travaux de Miroslav Pantić (1926-2011), historien serbe spécialiste d'histoire littéraire, mais aussi l'un des savants les plus prolifiques de la littérature croate classique et en particulier de Dubrovnik.

⁸ Giovanni Battista Guarini (1538-1612), poète et diplomate italien. La pastorale Il pastor fido est son œuvre la plus célèbre.

⁹ Milan Rešetar (1860-1942), philologue, historien de la littérature, numismate.

¹⁰ Junije Palmotić (1607- 1657), poète baroque et dramaturge de Dubrovnik.

¹¹ Torquato Tasso (1544-1595), poète italien.

¹² Passage extrait de « Kazalište baroknog razdoblja » (L'époque du théâtre baroque) in Povijest hrvatskog Kazališta (Histoire du théâtre croate), Školska knjiga, Zagreb, 1978, p. 95.

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