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Anita Ruso

 

 

 

                                                                  LE SKUP DE DRŽIĆ POUR LES FRANÇAIS

 




 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


En 1967, est publiée la première traduction intégrale de la comédie en cinq actes de Držić Dundo Maroje sous la plume de la célèbre traductrice Sonia Bićanić dans l'édition des Jeux d'été de Dubrovnik. L'an dernier, la Maison Marin Držić à Dubrovnik a publié la traduction de Dundo Maroje de l'acteur Filip Krenus. Le livre fut d'abord imprimé dans une édition souple, et récemment aussi dans une édition reliée, ce qui constitue le premier ouvrage dans la collection des œuvres traduites de Marin Držić.

     Cette belle et rare histoire de traduction a intéressé beaucoup de monde et en mars 2018 est parue dans Globus une interview de Filip Krenus qu'a lue le traducteur Nicolas Raljević, de mère française et de père croate. Raljević vit et travaille dans la ville tranquille et pittoresque de Rueil-Malmaison, non loin de Paris, où il enseigne la langue et les lettres françaises dans un lycée professionnel qui porte le nom de Claude Garamont. L'histoire n'aurait pas d'intérêt si Raljević jusqu'à présent n'avait traduit une cinquantaine de pièces de théâtre croates en français, qu'il ne vivait dans une ville jumelée avec Dubrovnik et qu'il ne s'était de sa propre initiative attaqué à la traduction des œuvres de Držić.

Les Glembay de Krleža sont une de ses traductions préférées. Il dit qu'il s'agit d'un texte « si riche que chaque phrase est une véritable aventure en termes de syntaxe ». Bien que tourmenté par les longues didascalies de la Trilogie de Vojnović, il a aimé son style poétique. « Bien sûr, Držić m'a donné tellement de plaisir que je dois le compter parmi les plus chers... L'an dernier, lorsque j'ai publié Golgotha de Krleža, l'hebdomadaire Globus a voulu m'interviewer. La journaliste Karmela Devčić m'a avisé de la traduction anglaise de Dundo Maroje par les éditions de la Maison Marin Držić. J'ai alors contacté Filip Krenus, qui m'a mis en contact avec Nikša Matić. Tout a commencé comme ça. » La collaboration a débuté par le choix de Skup comme première traduction de Raljević publiée par la Maison Marin Držić qui se soucie de l'héritage de la Loutre ainsi que de l'image de Držić en Croatie et dans le monde. La ville de Dubrovnik en tant que fondatrice de la Maison Marin Držić, soutient dès le début ce projet, de sorte que récemment a été présentée la première édition intégrale de Skup en langue française, en présence du traducteur Raljević, de la rédactrice et auteure de la préface Lada Čale-Feldman, de l'adjoint au maire de Rueil-Malmaison Philippe Trotin, du maire de Dubrovnik Mate Franković et du directeur de la Maison Marin Držić Nikša Matić.

À ce jour, Raljević a traduit en français Krleža, Begović, Šoljan, Vojnović, mais aussi des auteurs contemporains tels que Tena Štivičić et Miro Gavran. Dans une interview à Vijenac, Raljević explique comment l'a attiré l'intemporel Držić et comment il s'est attaqué à ce grand auteur. « Après tous les auteurs que j'ai traduits, Držić était un grand défi, mais il me semblait impossible de présenter le théâtre croate sans cet auteur. Il est important que Skup fut écrit cent ans avant L'Avare de Molière. La plupart des Français pensent que Molière a créé L'Avare ex-nihilo et ignorent qu'il est inspiré de l'Aulularia de Plaute. Il me semblait nécessaire de porter à la connaissance des Français qu'il avait existé un écrivain ragusain qui déjà à la Renaissance avait écrit une pièce similaire. »

Držić dans le prologue de Skup dit que cette comédie « a été entièrement volée dans un livre plus vieux que vieux – de Plaute » Cela vous a-t-il aidé de lire l'avare le plus ancien – celui de Plaute puis celui bien plus tardif de Molière ?

Comme je l'ai déjà écrit dans la postface de la traduction française de Skup – j'ai régulièrement durant ce travail de traduction relu les œuvres de Plaute et Molière. Et ainsi je crois que pour une grande part ces deux textes ont structuré la langue de ma version française.

Vous avez appris le croate et le parlez couramment. Pourtant, la langue de la Renaissance de Dubrovnik est difficile à comprendre pour les générations actuelles de Croates. Comment vous en êtes-vous tiré avec cette langue ?

Il m'a fallu beaucoup de temps pour cette traduction. Frano Čale dans son édition des œuvres de Držić a écrit de nombreux commentaires qui m'ont aidé à comprendre la plupart des phrases ambiguës. Jusqu'au bout, je n'étais pas assuré d'avoir bien compris et traduit certains passages. La professeure Lada Čale-Feldman, qui a vérifié ma traduction, m'a convaincu que je ne m'étais pas beaucoup trompé, même si elle est intervenue par endroits.

La držićologue Lada Čale-Feldman, en plus d'avoir la charge de relire votre traduction, a aussi écrit la préface. Elle n'a eu que compliments pour votre traduction de Skup. Qu'est-ce qui vous a le plus enthousiasmé tandis que vous le traduisiez ?

Je devais retrouver le sens de tous ces mots anciens et ces expressions qui ne sont plus utilisés. J'ai fait des recherches dans tous les dictionnaires que j'ai pu trouver, et parfois il a fallu beaucoup, beaucoup de temps pour découvrir la signification de phrases particulières.

Quand vous avez commencé à traduire Skup, avez-vous imaginé une collaboration avec la ville de Dubrovnik du fait de son jumelage avec la ville de Rueil-Malmaison ?

Absolument pas. Vous savez, cela fait des années que je traduis des pièces de théâtre croates – j'en ai traduit 53 à ce jour – et si j'avais attendu que quelqu'un me vienne en aide, je suis sûr qu'il n'y aurait rien eu de tout cela. Maintenant, j'avoue que je suis très content que la Maison Marin Držić et la ville de Dubrovnik m'aient invité à coopérer. Par ailleurs, je n'ai même pas rêvé que la ville de Rueil-Malmaison dans laquelle je vis depuis plus de cinquante ans pourrait s'intéresser à mon travail.

Nous savons que traduire signifie toujours trahir un peu. Il y a toujours des courants qui font obstacle à la traduction, ce qui en fait appauvrit la culture européenne, et laisse injustement la littérature des petits peuples sur les marges. Comment avez-vous concilié votre besoin de traduire Držić et les voix qui s'y opposent ?

Traduttore traditore. Et c'est encore plus difficile quand il s'agit de traduire un texte aussi éloigné temporellement. Les risques sont élevés. Le traducteur peut vraiment manquer le sens des phrases. Et la traduction elle-même n'est jamais que la traduction d'une époque et devrait être corrigée avec le temps. Je pense avoir très honnêtement traduit Držić en citant en notes de bas de pages les passages dont je n'étais pas complètement certain. Je comprends ces voix sceptiques car personne ne peut affirmer qu'une traduction puisse égaler un original. Et c'est pourquoi j'ai ajouté dans la postface qu'il était à présent du rôle des spécialistes d'évaluer et juger cette traduction, qui pourra servir ensuite de base pour de nouvelles traductions.

Avez-vous eu l'occasion de voir Držić sur les planches d'un théâtre ? Sortez-vous vraiment 45 fois par an au théâtre en moyenne ? Vous venez souvent en Croatie et vous vous rendez certainement aussi au théâtre. Vous vivez non loin de Paris, qui en dehors de théâtres nationaux comme la Comédie française, Odéon ou Chaillot dispose d'une multitude de théâtres indépendants. Par rapport à cette situation, peut-on assister à des spectacles de qualité dans nos théâtres ?

Je dois admettre que je me rends à présent un peu moins souvent au théâtre – en tout deux ou trois fois par mois. Et cela aussi bien à Paris qu'à Zagreb. Chaque fois que je viens en Croatie – cinq fois par an au moment des vacances scolaires en France – je m'arrête un jour ou deux à Zagreb, et je suis ainsi les programmations du Théâtre national croate, du théâtre Gavella ou du Théâtre des jeunes zagrébois. Ce sont mes théâtres favoris à Zagreb, ils me donnent l'occasion de découvrir une scène théâtrale croate de qualité. J'ai vu la première fois Držić au Gavella dans la mise en scène de Marco Sciaccaluga en 2012 de Dundo.

Vous traduisez actuellement Dundo Maroje de Držić. Depuis combien de temps ? Allez-vous avec la traduction de Dundo vous séparer de Držić ou bien l'aventure ne fait-elle que commencer ?

Cela fait déjà trois ans que je travaille sur Dundo. Pas constamment, mais je reviens souvent à ce texte entre deux traductions. À présent, je prévois de comparer mon travail avec la version anglaise de Filip Krenus avant de le confier au experts pour de nouveaux contrôles et corrections. Et je sais qu'il y en aura. Après je ne sais pas, je ne peux pas encore dire avec certitude ce que je ferai ensuite avec Držić. La Nouvelle du rocher me plaît, mais la poésie et la versification rendent difficile la traduction et j'ignore encore comment cela se présenterait en français.

Il y a quelques années, vous avez créé votre propre maison d'édition Prozor-éditions. Nous savons aujourd'hui qu'il est difficile aussi pour les grands éditeurs de travailler car les livres ne se vendent plus autant qu'auparavant. Que comptez-vous réaliser avec votre maison d'édition ?

J'ai lancé Prozor-éditions en 2017. Les tirages sont réduits. Je cède la plupart des ouvrages à des bibliothèques spécialisées ou à des personnes intéressées par la culture, la littérature et/ou le théâtre croates. Je travaille comme professeur de langue française dans une école spécialisée dans le design graphique, la production et l'impression d'ouvrages, de sorte que j'ai ainsi l'occasion d'éditer des livres à bas prix. Du moins jusqu'à présent. Si tout cela vaut quelque chose – il en restera quelque chose. Je ne me considère pas comme un grand éditeur et je sais que je ne le serai jamais.

Souhaiteriez-vous que l'une de vos traductions soit publiée dans l'une des plus célèbres maisons d'édition françaises ? Avez-vous déjà essayé de réaliser une telle collaboration ?

Cela signifierait que je suis parvenu à donner au public français l'opportunité de découvrir le théâtre croate. La plupart de mes traductions sont des drames classiques, et ce serait donc une grande réussite que de parvenir à une telle collaboration car la majorité des traductions théâtrales ne sont publiées que lorsqu'elles sont créées sur la scène. Une de mes traductions est actuellement chez un célèbre éditeur français. Mais je ne vous dirai pas de quoi ni de qui il s'agit car ce ne serait pas la première fois que la réponse est négative. Finalement, si elle est positive – vous l'apprendrez assurément immédiatement.
 

Traducteur Nicolas Raljević

Nicolas Raljević, de mère française et de père croate, vit et travaille dans la ville tranquille et pittoresque de Rueil-Malmaison, non loin de Paris, où il enseigne la langue et les lettres françaises. Jusqu'à présent, il a traduit une cinquantaine de pièces de théâtre croates en français, et la dernière est Skup de Držić.

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